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ASSOCIATION FÉCAMP TERRE-NEUVE
FEMME DE MARIN

Pareille à la souris de Verlaine ma mère
Tu trottas : du coq à l’âne, du four au moulin…
Enfance buissonnière ! Le colza, le lin,
Les leçons sous le foin, l’avenir dans l’ornière.

Treize ans : les lessives, Madame qui ordonne,
Le charbon au fourneau, l’argenterie, les plats…
Tes rêves de cristal se brisent en éclats
Et ta jeunesse meurt en panoplie de bonne.

Ton cœur et ton panier, Hélène, étaient si lourds.
Quelle âme ou quelle main pour soulager ton lot ?
Jaillissant du ressac voici qu’un matelot
Se dresse devant toi et dit : « Je suis l’amour. »

L’amour ? Des coups de mer et cette solitude
Lancinante et sournoise, antienne monotone ;
Et quand s’en revenait l’équinoxe d’automne
Un gosse qui naissait presque par habitude.

Toi qui ne sus jamais où situer Terre-Neuve,
Tu collais tes tourments sur les ondes marines,
Démasquant quelque nom : « Saturnia » ou « Wiking »…
L’épouse d’un marin est une demi-veuve.

Le sifflet, les jetées, la Vierge qu’on salue,
Tes yeux qui contemplaient les heures qu’on regrette,
Leurs airs de conquérants au bout de leur casquette,
Leurs peurs à l’horizon qu’entraînait le reflux.


Mère, je te craignais, si fragile pourtant,
Toi qui m’avais appris de naïves prières ;
Je les disais le soir en serrant les paupières
Lorsque le vin mauvais hurlait dans les haubans.

Puis un certain janvier, un méchant coup de vent
Le prit. Ce fut l’heure de l’ultime campagne.
Tu trompas ta douleur en ces années de bagne
En émiettant ta vie pour l’offrir aux enfants.

Ma mère, enfin j’entends les larmes sur ton châle,
Je sens ton désarroi, je touche ton sourire…
Mère, pardonne-moi, j’ignorais qu’une étoile,
On la regarde vivre et on l’aide à mourir.

       © Daniel Cuvilliez